Le chemin des limbes - Frédéric Lamoth

source: site éditeur

Fribourg, 1960. Gilles, un jeune prêtre, enseigne au collège Saint-Michel et se retrouve impliqué dans le drame de deux adolescents, dont Didier, un de ses plus brillants élèves. Ce dernier se suicidé. Gilles comprend rapidement que ce drame est lié au fait que Céline, sa petite amie est tombée enceinte et qu'elle n'était pas décidé à avorter - contre l'avis du jeune homme. Pour lui, ce n'est pas si grave et, de toute manière, il n'y a pas d'autre solution. Que peut faire une jeune fille à cette époque dans un des cantons les plus catholiques de Suisse ? Et comment annoncer la nouvelle à ses parents, dont son père, médecin et très catholique ? Pour Gilles, c'est clair, il faut étouffer l'affaire, Céline doit mettre au monde l'enfant dans une institution qui se chargera de lui trouver une famille, puis recommencer sa vie. Et s'il le faut, il l'aidera.

"Avorter... L'écho de ce mot la poursuivait quand ils se sont séparés au bout du chemin, n'ayant plus rien à se dire, n'ayant guère envie de prolonger ce partage de la solitude qui s'était substituée à leur complicité. Elle aurait voulu se laisser convaincre par la voix du fantôme qui marchait encore à ses côtés. Son discours, qui lui avait paru si dur au premier abord, finissait par l'apaiser. On disait que ce n'était pas si dangereux. Beaucoup de filles étaient passées par là sans que personne ne le sûr jamais. Les faiseuses d'anges vivaient dans les hameaux en dehors de la ville. On prenait un autobus à l'aube, au lieu de se rendre à l'école. C'était une vague angoisse qui se dissipait avec la venue du jour. Une sensation étrange, pas même une douleur. Un peu d'eau mêlée de sang. Une fuite, celle d'un mauvais rêve qu'on chasse au matin, il suffisait de fermer les yeux. Céline avait entendu parler de celles qui avaient perdu la vie. Son père avait raconté une fois qu'une de ces malheureuses avait succombé à une hémorragie, il n'avait rien pu faire pour la sauver. Cette histoire ne l'effrayait même plus. Au contraire, la perspective de la mort lui procurait un certain soulagement. Autant partir avec cet enfant qui n'aurait jamais vu le jour, plutôt que de vivre avec la marque de cet arrachement.

Elle essayait de se faire à cette idée, mais repoussait malgré tout son échéance. Les jours, les semaines passaient sans qu'elle parvînt à se décider à franchir le pas. Elle scrutait son ventre le matin dans la salle de bain sans déceler la moindre enflure. La nausée avait fini par disparaître. Cependant, Didier se montrait de plus en plus pressant. La peur le rattrapait à mesure que l'issue de ce drame se précisait. Il craignait la réaction de son père, alors qu'il s'était évertué jusque-là à le défier en allant à l'encontre du modèle de la famille bourgeoise. Il ne songeait plus à fuguer, ne parlait plus d'emmener Céline à l'autre bout du monde. Cette peur lucide commençait à avoir raison de lui, le faisait déjà ressembler à son propre père quand il envisageait leur avenir."
(pp. 54-55)

De Frédéric Lamoth, j'avais beaucoup aimé Le cristal de nos nuits, un excellent recueil de nouvelles. Ce nouveau texte m'a confirmé la très bonne impression que j'avais eu de son écriture, de son style. Ici, tout est en nuances, en non-dits. Le récit est en partie narré par Marie-Ange, la fille qu'aura plus tard Céline. J'ai beaucoup aimé; je vous le recommande.

(Bernard Campiche éditeur, 137 pp., 2021)

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