La dernière tempête - Ragnar Jónasson

Leó frappa un nouveau coup contre la porte, la tirant de ses rêveries. Visiblement, il n'avait pas l'intention de baisser les bras. Il ne faisait toutefois montre d'aucune violence, du moins pas encore... Mais pas question de le laisser entrer. Qui sait de quoi il était capable ?
La bougie à la main, elle parvint enfin à se repérer. Elle jeta un coup d’œil circulaire dans la cuisine, puis regagna le salon. Pas de trace d'Einar. Bien entendu. Elle s'en serait rendu compte. Rien ne semblait avoir bougé non plus, tout était à sa place... Et en même temps, pas du tout. Ils auraient dû être assis à table, tous les trois, à déguster leur repas. Là, oui, tout aurait été à sa place.
Où était donc passé Einar ? Là-haut, peut-être ? Gisait-il, blessé, après son affrontement avec Leó ? Elle se sentit défaillir à cette idée.
Elle inspira profondément et, un pas à la fois, elle grimpa l'escalier qui menait aux combles. [...]
Elle parcourut les derniers mètres qui la séparaient de la porte ouverte tête baissée, sans oser regarder à l'intérieur, pas tout de suite. Elle souleva la bougie pour illuminer la pièce, puis ferma les paupières, sentant la sueur perler sur sa peau, avant de les rouvrir.
Pendant une fraction de seconde, la première pensée qui jaillit des profondeurs de son inconscient fut la liberté.
Elle était enfin libre.
Elle pouvait enfin partir d'ici, s'échapper de cette écrasante solitude, de sa réclusion, se fondre dans une société fourmillante, avoir des amis, des connaissances, retrouver sa famille plus souvent. Elle n'avait plus à se sentir prisonnière de son propre foyer pendant des mois et des mois chaque année...
Puis vinrent la nausée, la honte. La honte de cette première réaction, de ce premier réflexe.
Son mari, l'amour de sa vie, gisait là, immobile, dans une flaque de sang. (pp. 156-7)

La veille de Noël, un couple vivant dans une ferme isolée laisse entrer un inconnu qui dit s'être perdu. Avec la tempête de neige qui fait rage dehors, impossible de ne pas l'aider. Erla, la femme, se montre tout de suite méfiante; leur fille doit venir les rejoindre pour le repas du midi de Noël, et elle ne veut pas d'un inconnu chez eux. Mais Einar, son mari, est là; que peut-il arriver ? Et pourtant... Quelques jours plus tard, l'inspectrice Hulda est envoyée sur place pour découvrir ce qui s'est passé; trois corps ayant été retrouvés.
Parallèlement, elle cherche toujours à savoir ce qui est arrivé à une jeune femme partie pour une année de découvertes avant de poursuivre ses études. Elle n'a plus donné de nouvelles à ses parents qui sont inquiets.
Deux enquêtes qui s'annoncent compliquées pour Hulda qui vient de traverser un drame personnel.

Voici donc le dernier volume de la trilogie "La dame de Reykjavík" qui, chronologiquement, se passe vingt-cinq ans avant le premier paru. On sait donc quel est le drame de Hulda mais cela ne perd rien de son intérêt; des détails enfin (un peu) révélés. Si j'avais adoré La dame de Reykjavík, été un peu déçue par le second (L'île au secret), cette dernière enquête m'a plu mais avec une réserve toutefois : l'intérêt, à mon avis, de cette série, est son personnage principale, cette inspectrice qui doit se battre chaque jour pour être considérée comme ses collègues masculins, avec ses relations compliqués avec sa mère et sa fille, voire son mari; cette inspectrice vieillissante. Or, dans cette enquête, elle est presque "une silhouette". L'intrigue est clairement basée sur le couple et son visiteur et j'ai trouvé cela dommage.

Cela reste un honnête polar.

(éd. La Martinière, Mistur (2017) traduit de l'islandais par Jean-Christophe Salaün, 282 pp., 2021)