Assemblage - Natasha Brown
Mon amie Rach - petite, gâtée, énergique - fait peu de cas de son logement, dans une banlieue verdoyante, à l'ouest de Londres. Elle dit qu’elle veut une maison plus grande, un meilleur petit ami, plus d'argent ! Toutes ces choses, elle les veut sans honte ni subtilité, et je suis à la fois apeurée par son appétit et admirative. Le mien a disparu. J'ai sombré trop profond, entraînée plus profondément encore par une tension larvée, tortueuse, entravant mes membres. Malgré tout, je retiens mon souffle. (p. 26)
La narratrice est une femme noire diplômée de Cambridge et qui codirige une section d'une banque de la City. Elle donne également des conférences dans les écoles, vantant le fait qu'avec un travail acharné, on peut aller loin. La veille de se rendre à une garden-party dans la famille de son petit ami issu de la bourgeoisie, elle s'interroge : n'est-elle qu'un "faire-valoir" pour son ami et sa famille, pour montrer leur ouverture à la diversité ?
J'ai beaucoup aimé ce court roman, son style direct où le racisme n'est pas abordé frontalement mais par petites scènes. Mais, l'air de rien, Natasha Brown montre que la bourgeoisie, qui se veut progressiste, ne l'est pas tant que cela. A l'exception d'un passage où j'étais un peu perdue, je recommande vraiment ce roman.
Natasha Brown est diplômée de Cambridge en mathématiques. Après avoir travaillé plusieurs années dans la City, elle se consacre à l'écriture. Assemblage est son premier roman.
Sans la lueur du téléphone, l'obscurité est parfaite. Mes yeux s'y font avec lenteur. Le calme, ici, est absolu. Je ne me sens pas observée. Même si je sais ce qui va suivre, et ce qu'on attend de moi, à la fête du lendemain. Je comprends la fonction que je dois remplir. Une promesse d'affranchissement, d'appartenance, oui. Un sommet narratif, dans le récit de mon ascension sociale. Bien sûr, eux - la famille, et même les invités - savaient que je ne pourrais refuser pareille invitation.
On m'aura à l’œil, c'est le prix pour en être. Ils voudront voir comment je réagis à leur abondance : réserve polie, indignation dissimulée et, en dessous, la faim, une vile avidité. Ce rôle je dois le tenir en conservant un vernis cool, d'argent fraîchement gagné; en me fendant de traits d'esprit féroces devant les petits-fours. C'est une version fictive de celle que je suis, mais mon implication transforme cette fiction en vérité. Mes pensées, mes idées - et même mon identité - ne peuvent exister qu'en réaction aux mots, aux actes des invités. Articulés en fonction de leur forme, de leur périmètre à eux. Renforçant leur individualité, et la centralité de celle-ci par rapport à la mienne. Quel autre moyen auraient-ils d'être certains de ce qu'ils sont, de ce qu'ils ne sont pas ? Pour délimiter tout ça il faut une silhouette, nette et noire.
(éd. Grasset, Assembly traduit par Jakuta Alikavazovik, 150 pp.)
Commentaires
Merci pour votre passage sur le blog. J'aime bien mettre un ou plusieurs extraits, cet je trouve que c'est parlant et que cela peut donner envie... ou pas. Mais surtout, mes "critiques" ne sont pas très fouillées, alors ça compense.