La femme du deuxième étage - Jurica Pavičić
source: site éditeur |
- Mirela, poursuivit Suzana, raconte que tu as empoisonné la vieille Anka. Elle raconte ça à tout le monde. Elle balance sur toi des mensonges horribles.
Bruna resta un temps sans réagir. Puis elle répondit.
- J'ai entendu dire. Elle a raconté ça aussi à Frane.
- Et Frane, il a dit quoi ?
- Il a dit qu'il ne la croyait pas.
- Et c'est tout ?
- Oui, c'est tout.
- Moi, je lui aurais balancé une beigne. Je lui en aurais collé une pour parler comme ça de ma femme. Pour parler de toi comme ça.
Mais Frane ne lui a pas collé une beigne, pensa Bruna. Il était parti. Simplement parti, ce qui signifiait que c'était une chiffe molle. Ou alors ça signifiait autre chose : que pour une part, même pour une part infime, il la croyait peut-être. (p. 150)
Bruna est à quelques mois de sa sortie de prison où elle purge une longue peine pour avoir empoisonné sa belle-mère Anka. Trois ans plus tôt, elle a rencontré Frane, un marin. Ils se sont rapidement mariés et ont emménagé dans l'appartement au-dessus de la maison familiale; au-dessus de chez Anka, une femme qui a élevé seule ses deux enfants après la mort accidentelle de son époux sur un chantier en Allemagne. Une femme forte, qui a l'habitude de "régenter son monde"; qui a décidé depuis longtemps que son fils chéri vivrait dans l'appartement du dessus avec sa famille. Mais à cause de la profession de son mari,
Bruna passe de longs mois avec sa belle-mère pour seule compagnie
lorsqu'elle rentre du travail. Leurs relations ne tardent pas à se tendre peu à peu. Et après l'accident vasculaire cérébrale
de celle-ci, elle doit s'en occuper : la laver, lui préparer ses repas.
Une lourde tâche qu'elle accomplit seule.
Que s'est-il passé ? Comment Bruna en est-elle arrivée là ? L'étouffement de ses rêves de liberté et jeunesse, ses espoirs déçus l'ont-ils conduit à celle extrémité fatale ? Elle ne voulait pourtant qu'une "vie banale" mais vécut selon sa vision. De victime dans un environnement qu'elle sent hostile et dans lequel elle ne se sent pas pleinement chez elle, elle devient bourreau.
J'ai bien aimé ce roman de l'auteur croate Jurica Pavičić (né en 1965 à Split) qui alterne les journées de prison (puis de liberté) avec les réminiscences de ce qui l'a conduit en prison. Je ne connais pas bien l'histoire de la Croatie mais au travers de l'histoire de son héroïne, l'auteur en profite pour évoquer le passage du communisme au capitalisme.
(éd. Agullo, Žena s drugog kata, traduit par Olivier Lannuzel, 239 pp., 2022)
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