Une heure de ferveur - Muriel Barbery
source: éditions de l'observatoire |
Haru, marchand d'art renommé, s'adonne aux plaisirs de la vie, que ce soit avec ses amis ou dans ses promenades méditatives dans les temples et jardins de Kyoto, mais aussi avec les femmes. C'est d'une brève liaison avec Maud, une Française de passage, que naîtra Rose. Repartie dans son pays, Maud lui interdit d'approcher leur fille; alors il suit sa vie à distance, au travers des clichés volés qu'un photographe sur place lui envoie.
Le texte commence alors que Haru est au soir de sa vie; il remonte en arrière au moment où, jeune homme qui a grandi dans les montagnes dans une famille qui produit du saké, il décide de partir pour Kyoto et devenir marchand d'art après avoir compris que ce qui le passionne, ce sont les formes que prennent la matière (roche, eau, feuillage, bois).
Ce que Tomoo a dit tout à l'heure sur le buto, cela vaut aussi pour l'amour, dit Emmanuelle. L'art et le désir sondent nos obscurités.
- Keisuke dit que je ne comprends rien aux femmes mais c'est peut-être à moi-même que je n'entends rien.
- Nous avons tous une part d'ombre qui crée des angles morts où nous sommes cachés à nous-mêmes.
Ils reprirent leur marche vers l'entrée de Shinnyo-do en passant entre les temples et jardins annexes du complexe. Haru en connaissait chaque allée, chaque bambou et chaque érable que la lune et la neige recouvraient de vif-argent. Ils atteignirent le grand porche rouge qui menait au temple principal, il y avait dans l'air une sorte de densité et, à la fois, de légèreté délicieuse.
- Je fais ce tour chaque semaine, dit-il.
- Vous êtes chanceux, il y a du monde sur cette colline et je ne parle pas seulement des morts.
- Comment savez-vous que c'est une bonne compagnie ? demanda-t-il en riant.
- Je ne me suis pas sentie si bien depuis très longtemps, répondit-elle.
Elle lui prit le bras avec amitié, il la conduisit jusqu'à la grande cour, heureux de son affection.
- La promenade de la dernière fois avec Isao avait ce parfum de profondeur et de joie, dit-elle quand ils furent arrivés devant la grande pagode.
- Il peut donc y avoir de la joie en dépit de l'absence ? demanda-t-il.
- La douleur est partout, je ne peux pas y échapper. Mais, parfois, en certains lieux, en certaines présences, je deviens une autre femme qui peut de nouveau respirer. Ensuite, hélas, je reviens à moi-même. (pp. 99-100)
Ce roman m'a énormément plu, et pourtant j'avais de grandes appréhensions car j'adore la littérature japonaise - son rythme et ses atmosphères si particulières -, mais j'ai systématiquement été déçue par ces auteurs francophones qui essaient de "faire japonais". Pourtant ici, le style de Muriel Barbery m'a séduite et ce dès les premières pages. J'ai lu sur Internet qu'elle a vécu deux ans à Kyoto - nul doute qu'elle a su ici retranscrire son amour pour cette ville et la culture japonaise. Délicatesse, poésie, lenteur, un texte qui parle d'amitié, de fidélité, de beauté. Il ne plaira pas à tout le monde - comme tout livre - mais pour ma part, je vous le recommande.
Muriel Barbery (née en 1968 à Casablanca) a étudié la philosophie puis enseigné à l'université. Une heure de ferveur est son sixième roman. A noter que Rose est l’héroïne de son précédent roman, Une seule rose (2020) et que l'auteur explique avoir senti n'en avoir pas terminé avec Haru lorsqu'elle l'a achevé (cf. compte Actes Sud sur YouTube).
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