A propos de ma fille - Kim Hye-Jin
source: site éditeur |
A Séoul de nos jours, une femme accepte à contrecœur d'héberger sa fille trentenaire en difficulté et sa partenaire. La mère, qui ne comprend pas la nature de leur relation qu'elle juge inconcevable, souffre de voir sa fille "gâcher sa vie" amoureuse mais aussi professionnelle.
- Créer des problèmes partout où tu vas, te plaindre de tout à la moindre occasion, toujours tout mettre sur le dos des autres, c'est ça que tu appelles faire de ton mieux ? Mais regarde comment vivent les gens. Il n'y a personne qui vive comme toi. Je sais, de nos jours on dit que chacun vit sa vie, mais pardon, il y a des limites. Quand je te parle de la sort2e, je sais ce que tu penses, que c'est impossible de t'entendre avec ta mère, que je suis vieille et bonne à rien. Seulement tu te trompes. Quoi, crois-tu que tu vas rester jeune éternellement ? Crois-tu pouvoir faire n'importe quelle bêtise sous prétexte que tu auras le temps d'arranger ça plus tard ?
Le visage de ma fille se contracte.
(...)
- Quand les gens disent qu'une chose est impossible, c'est qu'il y a une bonne raison. Pourquoi tu continues à crier dans les rues que ce n'est pas vrai ? Pourquoi ce serait à toit de t'en occuper ? Si une mauvaise décision a été prise, ça se remettra tout seul dans le bon ordre. Je ne comprends pas pourquoi tu t'épuises à monter au front pour ces histoires qui ne te concernent pas. Un jour tu amènes à la maison une fille qui n'a pas de travail - et qui sait ce qu'elle faisait avant d'arriver ici -, le lendemain tu rentres toute balafrée parce que tu t'es battue, et maintenant au lieu de donner tes cours tu passes tes journées à brailler comme une pocharde devant ton université. A quoi ça rime de gâcher une vie si précieuse comme tu le fais ?
- Pourquoi parles-tu ainsi, maman ? (...) Tu crois que je fais ça par plaisir ? (pp. 91-92)
J'ai beaucoup aimé ce roman. D'une part l'écriture - donc la traduction -, et d'autre part pour son personnage principal que j'ai trouvé touchant. Si elle ne veut d'abord même pas entendre le mot "homosexualité", se voile complètement la face et reste campée sur ses conceptions traditionnelles, une fois le déménagement fait, elle passe en mode rejet du couple formé par sa fille et Lane, la partenaire de cette dernière. Elle les tolère dans sa maison - elle ne peut quand même pas refuser d'aider sa fille - mais est vraiment impolie avec Lane, ne lui parle que si cela est nécessaire. Pourtant, celle-ci est très prévenante; essaie d'être serviable sans chercher à s'imposer.
Mais lorsque sa fille finit à l'hôpital suite à une manifestation à laquelle elle a participé, la narratrice prend conscience qu'elle doit ouvrir les yeux et accepter que sa conception de la famille, de l'amour et de l'amour n'est pas nécessairement la seule possible.
L'homosexualité féminine n'est toutefois pas le seule thème de ce roman. La narratrice travaille dans un établissement médico-social et s'occupe de Jens, une vieille femme atteinte d'Alzheimer et qui fut une personnalité importante. Elle se prend d'affection pour elle, et, à l'image de sa fille qui défend publiquement ses convictions, elle prendra la défense de Jens lorsque la direction veut la transférer dans un autre établissement où elle sait que les seuls "soins" qu'elle recevra, seront des médicaments qui ne feront que de rendre apathique Jens.
Je vous recommande donc ce roman qui parle du lien parent-enfant, d'amour, du poids des traditions, de solidarité, de tolérance et de violence.
Kim Hye-jin (née en 1983) est Coréenne. Son roman a obtenu un prestigieux prix dans son pays et a été traduit dans une quinzaine de langues.
(éd. Gallimard, coll. Du monde entier, Ddalae dae-ha-yeo traduit par Kyungran Choi et Pierre Bisiou, 176 pp., 2022)
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