Les fantômes du presbytère - Daniel Sangsue
photo : Guillaume Perret pour Le Temps |
Un couple achète un presbytère du 18e s. accolé à une église désaffectée et un cimetière, dans la campagne de l'Aubrac. Si les premières semaines se passent sans accroc à l'exception de chauves-souris qui pénètrent régulièrement dans leur cuisine, ils sont bientôt témoins de coups et autres bruits étranges. Spécialiste des fantômes, surtout littéraires, le mari et narrateur n'est nullement effrayé, et ils comprennent rapidement que l'esprit qui hante les lieux est celui du dernier curé du petit village. C'est un lisant le journal intime du prêtre, trouvé dans la sacristie, qu'ils reconstitueront son histoire et s'engagent à libérer le fantôme de ses années d'errance entre deux mondes.
La nuit suivante, je fus réveillé à trois heures par des coups venant du rez-de-chaussée. Rien à voir avec les raps habituels : ces coups étaient moins forts et s'accompagnaient d'une rumeur qui semblait correspondre à une voix étouffée.
Isabel, réveillée à son tour, inquiète, me prit le bras d'une main crispée.
- Vas-y si tu veux, moi je ne bouge pas, murmura-t-elle.
J'enfilai ma robe de chambre et descendis l'escalier quatre à quatre.
Le bruit venait de la salle de séjour.
J'actionnai l'interrupteur.
Il n'y avait personne, mais je tombai sur Gourdoulou [le chat], l'oreille dressée, la queue hérissée, qui fixait le fond de la pièce. C'était la paroi où se trouvaient l'insert et la porte du cellier.
J'ouvris cette porte et allumai. Seule une bouffée d'air glacial m'accueillit. J'étudiai rapidement les murs et la voûte. Le bruit ne venait pas de là.
De retour dans la salle de séjour, j'ouvris la vitre de l'insert et penchai la tête à l'intérieur.
Je pus alors entendre les coups plus distinctement. La porte condamnée me revint à l'esprit : pas de doute, les coups étaient frappés sur cette porte reliant l'église au presbytère, comme si quelqu'un voulait qu'on lui ouvre ! En écoutant attentivement, je finis aussi par distinguer des sons de voix.
Et tout à coup je pus saisir une phrase entière :
- Ouvrez-moi cette porte où je frappe en pleurant ! gémissait la voix.
J'avais la chair de poule et une forte envie de fuir, mais je réussis à me calmer. Qu'y avait-il à craindre d'une voix malheureuse citant Apollinaire ? Je commençais à comprendre : c'était certainement la voix du curé fantôme que nous avions aperçu l'après-midi devant la porte du presbytère. Ce prêtre voulait y pénétrer et en était empêché pour une raison qu'il nous restait à découvrir. Son âme en peine cherchait à entrer en contact avec nous pour que nous la délivrions, frappant désespérément contre les murs et la porte condamnée. Il fallait donc continuer à communiquer avec ce fantôme pour résoudre son problème, qui était aussi le nôtre.
Dès que j'eus pensé cela, les bruits et la voix s'arrêtèrent. Je fermai l'insert, remontai dans notre chambre et informai Isabel sur l'origine du bruit. Nous ne pûmes cependant pas nous rendormir. (p. 76-77).
Dès que j'eus pensé cela, les bruits et la voix s'arrêtèrent. Je fermai l'insert, remontai dans notre chambre et informai Isabel sur l'origine du bruit. Nous ne pûmes cependant pas nous rendormir. (p. 76-77).
Professeur, romancier et essayiste, spécialiste de Stendhal et des fantômes littéraires, Daniel Sangsue brode ici un texte entre récit et roman avec de nombreuses références littéraires (Stendhal, Flaubert et Bernanos notamment). Vu les points communs avec son narrateur, on pourrait croire que c'est un texte autobiographique, ce qui apporte beaucoup au réalisme du récit, à la fois érudit, très "terroir", souvent bucolique, et avec bien sûr la petite touche fantomatique. C'est court, bien écrit, bref un bon moment de lecture.
(éd. La Baconnière, 133 pp., 2022)
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