Ce genre de petites choses - Claire Keegan

Claire Keegan - source: éditeur

Le pire était encore à venir, il le savait. Déjà il devinait l'océan de problèmes l'attendant derrière la prochaine porte, mais le pire qui aurait pu se produire était aussi déjà derrière lui : la chose non faite, qui aurait pu l'être - avec quoi il aurait dû vivre jusqu'à la fin de ses jours. (p. 112)

1985, New Ross, comté de Wexford, dans le sud de l'Irlande.

Propriétaire de sa propre affaire de vente de charbon et de bois, et père de cinq filles, Bill Furlong est un homme qui a réussi. Et ce malgré un départ dans la vie qui ne s'annonçait pas facile : élevé par sa mère dans la maison où celle-ci était domestique. Alors que les préparatifs de Noël vont bon train dans sa famille comme dans toute la ville, il effectue ses dernières livraisons avant quelques jours de repos bien mérité. En se rendant au couvent voisin au petit matin, il trouve une jeune femme, recroquevillée et grelottante, dans la réserve à charbon. Elle a visiblement passé la nuit là. Il se murmure que les sœurs exploitent dans leur blanchisserie des filles non mariées qui ont eu un enfant illégitime et qu'elles gagnent beaucoup d'argent ne plaçant leurs enfants à l'étranger. Alors qu'il la raccompagne au couvent, la mère supérieure insiste pour qu'il entre prendre un thé et fait préparer un repas pour la jeune femme. Si elle veut visiblement faire bonne figure, Bill est troublé par le souvenir d'un précédent passage où il avait découvert plusieurs pensionnaires qui ciraient un plancher pieds nus et à genoux. Bill, en homme bon et généreux, ne va alors écouter que son cœur. 

La période a été chargée, dit Furlong. Les quelques jours de congé ne nous feront pas de mal, hein ?
- Ah, c'est beau d'être un homme, dit-elle, et d'avoir des jours de congé !
Elle rit et s'essuya les mains sur son tablier avant de taper sur la caisse enregistreuse.
(...)
- Vous me tirerez d'erreur si je me trompe, je le sais, Bill - mais n'ai-je pas entendu dire que vous avez un accrochage avec madame elle-même au couvent ? (...)
- Je n'appellerais pas ça un accrochage, mais j'ai passé une matinée là-haut, oui.
- Ce n'est pas mes affaires, vous comprenez, mais vous savez que vous devriez surveiller ce que vous dites sur ce qui s'y trouve. Gardez le chien méchant près de vous et le gentil ne mordra pas. Vous savez ça.
(...) Ne vous offusquez pas, Bill, dit-elle, lui touchant la manche. Ce n'est pas mes oignons, mais vous savez certainement que ces religieuses ont des intérêts partout.
Il recula alors et lui fit face. "Assurément elles n'ont que le pouvoir que nous leur donnons, n'est-ce pas, Mrs Kehoe ?"
- Je n'en mettrais pas ma main au feu." Elle se tut un instant et le regarda de la façon dont les femmes très réalistes regardaient parfois les hommes, comme s'ils n'étaient pas du tout des hommes, mais des garçons insensés.
(pp. 97-8)

Il y a longtemps que je n'avais plus lu Keegan, brillante nouvelliste dont j'ai grandement apprécié les deux recueils de nouvelles traduits en français (L'antarctique et A travers les champs bleus) et le récit Les trois lumières. Il y a longtemps aussi que je n'avais pas lu de littérature irlandaise dont je suis pourtant une grande admiratrice. Ce texte, court mais très puissant, est magnifique. Fort, prenant, et tout en subtilité, c'est un texte sur le refus du mensonge et le courage de s'opposer. Certain le trouveront pas assez fouillé; j'ai au contraire apprécié le fait que tout est suggéré et qu'il n'y a donc aucun pathos.

Vivement recommandé.

(éd. Sabine Wespieser, Small things like these (2020) traduit par Jacquelin Odin, 112 pp., 2020)

Commentaires

dasola a dit…
Bonjour Lewerentz, ce roman m'attend dans une de mes PAL. Le sujet m'intéresse. Je n'ai encore rien lu cette écrivaine.Bonne soirée.

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