Maritimes - Sylvie Tanette
Je suis sorti de chez moi pour aller sur le port. (...) A mon âge, je peux regarder la mer pendant des heures. Seulement si le temps le permet, car en hiver elle peut être terrible. Dans ces cas-là, il est dangereux de s'aventurer sur la digue, les vagues semblent vouloir avaler le village et le vent donne l'impression d'avoir un problème personnel avec nous, comme s'il avait décidé de nous anéantir. Il paraît capable de soulever l'île de la surface de la mer pour l'envoyer au bout de l'horizon. Il ne faut pas s'inquiéter, les éléments finissent toujours par se pacifier d'eux-mêmes et nous ne pouvons jamais nous expliquer les raisons de leurs changements d'humeur. Nous nous contentons de nous calfeutrer dans nos maisons. Mais aujourd'hui tout est calme, le ciel au-dessus de nous est immense et bleu. (pp. 59-60)
Gros coup de cœur pour ce roman écrit dans une langue très belle, solaire, poétique et sensible mais qui sait exprimer le tragique lorsque l'intrigue le nécessite.
Sur une toute petite île de la méditerranée, arrive un jour Benjamin, un jeune homme que nul ne connaît et qui s'intègre peu à peu à la petite communauté de pêcheurs qui la peuple. Installée dans une petite maison qui était en ruine depuis de longues années, il noue une histoire d'amour avec Michaëla, la plus belle jeune fille de l'île, orpheline, et dont on dit que la mère, qui n'a jamais parlé, était venue des profondeurs de la mer avant d'y retourner pour l'éternité.
Mais si les habitants ne souhaitent que vivre comme ils l'ont toujours fait, en se contentant de peu et sans se préoccuper du monde au loin, leur indifférence irrite les autorités dont ils dépendent qui se sentent offensées. La petite communauté ne s'en laisse pas compter pour autant. Cependant, tout n'est pas tranquille et ils ne peuvent faire abstraction de ce qui se passe sur le continent. Car sur la côte, la colère gronde; une dictature suggérée, une guerre qui frappe, des fauteurs de trouble qu'il faut retrouver et mater.
C'est cette histoire dont se souvient le narrateur, une vieil homme d'au moins trois mille ans. Un texte vraiment magnifique où il est question d'amour (entre un homme et une femme, mais aussi à la nature, à la mer, aux éléments), de violence, de lutte et d'insoumission. Tout est en suggestion, avec force et sobriété.
A lire absolument !
Un grand merci à la personne qui, après avoir lu ce roman, a décrété que je devais le lire et m'a gentiment prêté son exemplaire.
Auteur et critique littéraire, Sylvie Tanette est originaire de Marseille et vit à Paris. Son premier et précédent roman, Un jardin en Australie, a obtenu le prix Rosine Perrier 2020.
(éd. Grasset, 120 pp., 2021)
Commentaires