Sémi - Aki Shimazaki



Une brise fraîche me réveille. Allongé sur le côté, je ne vois qu'un mur blanc.
(...)
L'horloge murale indique sept heures vingt-cinq. La chambre est tranquille. Fujiko doit encore dormir. J'imagine que les gens atteints d'alzheimer font aussi des rêves. Seulement, ils ne s'en souviennent pas. (...)
- Tetsuo-san...
- Oui... réponds-je en réalisant qu'elle me prend toujours pour son fiancé.
- J'ai un présent pour vous. Pourriez-vous l'accepter ?
- Bien sûr, Fujiko-
san.
- Attendez un moment, s'il vous plaît.
Elle repasse de son côté et revient avec quelque chose de coloré. Je me redresse. Elle me le tend précieusement. C'est un joli patchwork. Je comprends tout de suite qu'elle l'a fabriqué avec ses carrés au crochet. Elle m'aide à le déplier et à l'étaler sur ma couverture. C'est un couvre-lit. Rouge, bleu, jaune, blanc, rose, violet... Ces couleurs me réveillent complètement.
- Que c'est beau, Fujiko-
san ! Merci.
Elle se frotte les yeux :
- Je l'ai terminé ce matin.
- Avez-vous travaillé toute la nuit ?
- Oui.
- Vous devez être fatiguée maintenant.
- Oui, j'ai sommeil.
Malgré moi, je soulève mon drap:
- Venez, Fujiko-
san.
Soudain, son regard brille. Son expression est celle d'une fille dans la fleur de sa jeunesse. Elle se glisse gauchement sous mes draps et enfouit son visage dans mon cou. Je la serre dans mes bras. Elle reste immobile. Doucement, je caresse ses cheveux gris. Elle ferme les yeux. Des larmes en coulent. Je chuchote à son oreille :
- Fixons la date du mariage.
Elle hoche la tête et s'endort.
(pp. 148-151)

Tetsuo et Fujiko Niré, les parents d'Anzu et Kyôko, les deux soeurs dont les lecteurs ont fait la connaissance dans Suzuran. Retraités, ils vivent depuis six ans dans une résidence pour personnes âgées; depuis que les effets de la maladie d'Alzheimer dont souffre Fujiko se sont développés. Mariés depuis quarante ans, ils ont eu une vie tranquille et heureuse. Pourtant, un matin, Fujiko ne reconnaît plus son époux mais le prends pour son fiancé. Encouragé par l'infirmière, Tetsuo "joue le jeu" et va tout faire pour reconquérir celle qu'il aime.

Aki Shimazaki nous offre ces jours-ci le second volume de sa nouvelle série commencée l'année passée. En une page et demie, j'étais déjà sous le charme et lorsqu'en plus la musique est venue s'insinuer dans le récit, j'étais conquise. Elle sait comme personne parler des vies de ses personnages où, sous des apparences tranquilles, le feu et les fissures apparaissent. Ici, il est question de maladie, de mémoire, de paternité, de la libération des jeunes générations face aux traditions bien établies (cohabitation de plusieurs générations sous le même toit).

Sobre, intimiste; beau, tout simplement.

(éd. Actes Sud, 151 pp., mai 2021)

Commentaires

Golovine a dit…
Coucou, conquise par la chronique, je vais commander derechef les deux livres en espérant être aussi conquise par leur lecture ! Je vous ferai part de mon appréciation !
lewerentz a dit…
Bonjour Golovine,
Merci par votre message. Je ne vous avais encore jamais parlé de Shimazaki ? Grave erreur, si c'est la cas. Je me réjouis de votre feedback.
Bonne soirée, je vous embrasse, à tout bientôt.
Violette a dit…
j'avais déjà noté sans passer le cap de la lecture. Merci pour ce rappel !
lewerentz a dit…
Violette: je ne peux que t'encourager à la lire; c'est une auteur magnifique !
Golovine a dit…
Voilà, je viens d'achever la lecture de Suzurkan (?) et j'ai bien aimé je dois l'avouer. Il est comme une rivière paisible qui coule, non sans quelques remous évidemment. Je l'ai trouvé apaisant et comme je ne lis qu'avant de m'endormir, il a été doux d'y penser longuement avant de trouver le sommeil. Pour utiliser une expression de chez nous (n'est-ce pas Leverentz ?), ce livre m'a mise bien ! Amicalement à toi ! Maintenant j'attaque Sémi.
lewerentz a dit…
Bonjour Golovine : merci pour votre retour. Je suis contente que vous ayez aimé 🙂 Bisous et amitiés.

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