Coupe sombre - Oscar Peer


Lorsque Simon redescend, il espère que son bois n'a plus de place. Maintenant, on sent un peu de foehn, ça goutte des arbres, de temps en temps tombent des édredons de neige. Son monceau semble dégeler, on entend partout des craquements.
Vers le soir, il est devenu un peu trop imprudent, un peu indifférent, comme il arrive souvent quand on est fatigué. Peut-être pensait-il aussi à cet homme. Par moments, il parlait, parce qu'on ne peut pas rester sans parler - s'il n'y a personne là, tu causes avec toi-même ou avec les choses.
(...)
Il aurait dû faire attention à descendre en dessous par le côté. Tout d'un coup, il voit la masse bouger, se démener, comme secouée de l'intérieur. Il aurait peut-être pu se sauver en bondissant de côté. Mais il reste figé et regard, comme fasciné. Un tronc lui attrape les jambes, le jette à terre. Simon ne ressent rien, il n'éprouve ni douleur ni frayeur. Il tombe sur le dos, les bras complètement écartés. Déjà, à moitié étourdi, il entend le vacarme des troncs qui déferlent sur lui, un fracas qui dure une éternité, - et c'est comme s'il était emporté par un fleuve charriant des glaces. (pp. 97-8)

Simon, 65 ans, sort de trois ans de prison après avoir accidentellement tué un ami en chassant. De retour dans son village de Basse-Engadine, il est mis au ban de la société par presque tous. Seuls son ami Jonas, chez qui il loge dans un premier temps, Oscar, un jeune garçon solitaire (comme Simon), et Vera, l'épouse d'un ingénieur qui habite son ancienne maison, lui témoignent de la sympathie. Pour prouver qu'il n'est pas fini, qu'il ne vaut plus rien, il accepte d'aller couper du bois dans un endroit difficile, escarpé et reculé, à plusieurs heures de marche du village. Une tâche qui n'est pas rien pour un homme qui est fatigué, usé par la vie. Mais ce qu'il veut est regagner sa place dans la communauté, pouvoir se mêler aux autres sans qu'on le regarde d'un œil méfiant, retrouver sa dignité. Commence alors une épreuve contre lui-même pour tenir le coup, et contre la nature.

Un texte court, un beau, âpre et fort. Un grand merci à la personne qui m'a gentiment prêté son exemplaire.

Oscar Peer (1928-2013) est un auteur suisse de nouvelles et romans qui ont obtenu plusieurs pris, et d'un dictionnaire romanche-allemand. Il a aussi enseigné le français et l'italien aux Grisons, canton dont il est originaire.

(éd. Zoé, Accord traduit du romanche par Marie-Christine Gateau-Brachard, 103 pp., 1999 - réédition en 2020)



Commentaires

Cecile a dit…
Je l'ai acheté en numérique suite à un avis paru dans Le Matricule des Anges. Votre avis semble correspondre à l'idée que je m'en fais. Il fait partie de mes prochaines lectures.
lewerentz a dit…
Cécile : je suis quasiment certaine qu'il vous plaira ; c'est, à mon avis, bien dans le style de ce que vous aimez. Vous me redirez. Bonne lecture !
Dominique a dit…
je note immédiatement pour le genre de récit, pour l'engadine une région sur laquelle j'ai déjà pas mal lu
lewerentz a dit…
Dominique : ah oui ? Qu'as-tu lu d'autre ?

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