Bunker - Andrea Maria Schenkel
Monika, qui travaille dans une banque, est enlevée et retenue prisonnière durant cinq jours dans un ancien moulin à côté duquel se trouve également un bunker. On comprend que ce dernier a été construit par le père du kidnappeur et que celui-ci habite en face de chez la jeune femme, qu'il l'épiait depuis un moment, s'introduisant même chez elle durant son absence. On apprend aussi que c'est dans le moulin que le père du kidnappeur enfermait son épouse lorsqu'une scène éclatait entre eux.
Lorsqu'elle se réveille, Monika est nue et ligotée. Elle pense d'abord que sa captivité est le résultat du cambriolage raté de la banque. Jusqu'à ce qu'elle trouve dans la pièce une photo d'elle et Joachim, son jeune frère décédé des suites des blessures subies alors qu'elle l'avait roué de coups après une dispute. Qui est réellement son ravisseur ? Hans, le garçon un peu demeuré du village qu'elle avait accusé de la mort de son frère et qui avait été envoyé dans un hôpital psychiatrique ?
Je ne vais pas à y aller par quatre chemins : j'ai adoré ce court roman d'Andrea Maria Schenkel (née en 1962), une auteur dont j'ai lu tous les textes traduits à l'exception de Un tueur à Munich. J'avais toutefois quelques réticence à cause du titre; bunker, un mot que j'associe au froid, au gris, à l'humidité, à la dureté. Bref, tout ce que je n'aime pas.
Ce bunker (et le moulin !) qui pourtant permet à Schenkel de créer une tension et une atmosphère de plus en plus tendue, étouffante, lourde et claustrophobique. Et retorse. Qui de Monika ou de Hans (pour autant que ce soit bien lui ?) est réellement la victime et qui le coupable ? Un face à face s'engage dans lequel la femme, pour tenter de s'enfouir, essaie de gagner sa confiance. Elle lui propose un marché : elle l'aide à obtenir la clef du coffre fort de la banque en piégeant son chef, et il lui laisse la vie sauve. C'est troublant, limite pervers et franchement prenant. Un huis-clos à deux personnages, une vraie réussite que je recommande vivement !
L'un après l'autre, je prends les morceaux de pain et les lui mets dans la bouche. Elle mâche et, la bouche encore pleine, elle dit : "Et si on allait chercher ensemble l'argent du coffre ?"
Au début je ne comprends pas, je n'ai aucune idée de ce qu'elle veut dire. L'argent ? Mais elle n'a pas la clé, j'ai fouillé ses vêtements.
Elle me sourit toujours.
Elle penche la tête sur le côté, me regarde. Je ne dis pas un mot. (...)
Je la regarde dans les yeux. (...)
Qu'est-ce que tu en penses : on va chercher la clé, et ensuite l'argent du coffre."
Après tout, pourquoi pas ? Tout a foiré depuis le début, mais si elle peut m'aider à m'emparer de cet argent... Et après, on verra. J'attends encore un moment, je la laisse mijoter encore un peu, et puis : "Comment tu comptes te procurer cette clé ?" On va voir quel plan elle a échafaudé.
"Mon chef l'a toujours sur lui, dans la poche intérieure de sa veste.
- Et comment est-ce qu'on met la main sur cette veste ?
- Je lui plais, je le sais. Je l'appelle, je lui dis qu'il vienne ici. Je détourne son attention, tu l'assommes et tu voles la clé. Il faut le faire ce soir, comme ça on aura toute la nuit pour vider le coffre et nous tirer !"
Toujours assis à la table, j'écoute son plan. C'est un peu vague, tout ça, mais je n'ai pas de meilleure idée, alors pourquoi pas ? Je n'ai rien à perdre, je me frotte le menton, je réfléchis.
"Et tu crois que ça va marcher ?
- On n'a qu'à essayer, on verra bien."
Je réfléchis un peu, puis tape sur la table avec le plat de la main.
"OK, on essaie, ma chérie."
Elle me regarde d'un air incrédule, elle est surprise. On voit sur son visage qu'elle réfléchit comme une dingue.
Eh oui, ma chère, tu ne t'attendais sûrement pas que je me laisse convaincre aussi facilement (pp. 89-91)
(éd. Actes Sud / Babel noir, traduit de l'allemand par Stéphanie Lux, 100 pp., 2010)
Commentaires
Niki: oh la, c'est carrément glauque ton histoire... Cela fit, dans ce roman, cet aspect n'est évoqué qu'une fois ; tout tourne autour de l'enlèvement. Mais je comprends tes réticences et réagirais certainement pareil à ta place.