La symphonie pastorale - André Gide
C'est marrant la vie. Parfois, il suffit de regarder autour de soi pour se rendre compte, au détour d'une conversation, que des personnes que l'on connaît plus ou moins bien, que l'on voit plus ou moins souvent, partagent plusieurs mêmes centres d'intérêt que les nôtres, la lecture notamment. Et on se retrouve à lire des auteurs et/ou des textes vers lesquels on ne se serait à priori pas tourné. Ce n'est pas la première fois que cela m'arrive, et c'est encore ce qui s'est produit ici et m'a conduit à lire La symphonie pastorale de Gide (1869-1951) - un grand merci à la personne qui m'a prêté son exemplaire et permis de découvrir ce très beau texte.
La Brévine, petite village suisse, un hiver des années 1890. Un pasteur, le narrateur du récit écrit sous la forme d'un journal, se rend au chevet d'une vieille femme mourante qui laisse pour seule héritière une nièce aveugle qui ressemble plus à un petit animal sauvage dépourvu d'intelligence qu'à une personne. Le pasteur la recueille et la fait entrer dans sa famille, déjà nombreuse, bien décidé à l'éduquer et lui faire découvrir le monde qu'elle n'a jusqu'alors fait qu'effleurer. Grâce à l'éducation et aux soins attentifs du pasteur, la jeune fille, prénommée Gertrude par la plus jeune enfant du pasteur, fait de rapides progrès.
"Je ne veux pas d'un pareil bonheur. Comprenez que je ne... Je ne tiens pas à être heureuse. Je préfère savoir. Il y a beaucoup de choses, de tristes choses assurément, que je ne puis pas voir, mais que vous n'avez pas le droit de me laisser ignorer. J'ai longtemps réfléchi durant ces mois d'hiver; je crains, voyez-vous, que le monde entier ne soit pas si beau que vous me l'avez fait croire, pasteur, et même qu'il ne s'en faille de beaucoup." (p. 125)
Sur une trame très simple et connue (le pygmalion qui tombe amoureux de sa "création"), Gide écrit un récit plein de dualités : aveuglement physique contre aveuglement morale (du pasteur) contre la lucidité de son épouse Amélie, le monde à travers le prisme d'une autre personne contre la réalité nettement plus douloureuse, conceptions protestante contre catholique, amour "de reconnaissance" contre véritable amour. Éducation, mensonge à soi-même, et la métaphore de la brebis égarée sont d'autres thèmes de ce roman.
"Non, je n'accepte pas de pécher, aimant Gertrude. Je ne puis arracher cet amour de mon cœur qu'en arrachant mon cœur même, et pourquoi ? Quand je ne l'aimerai pas déjà, je devrai l'aimer par pitié pour elle; ne plus l'aimer, ce serait la trahir : elle a besoin de mon amour...
Seigneur, je ne sais plus... Je ne sais plus que Vous. Guidez-moi. Parfois il me paraît que je m'enfonce dans les ténèbres et que la vue qu'on va lui rendre m'est enlevée." (p. 132)
J'ai beaucoup aimé le style simple et fluide de Gide, particulièrement dans les descriptions des paysages et des atmosphères. La seule chose qu'il m'a vraiment dérangé, c'est les quelques passages où Gide fait plusieurs références aux Évangiles; j'ai été coupée dans mon élan et avait soudain l'impression de lire un essai plutôt qu'un récit. Dommage. Mais heureusement, le passage est court et le roman s'achève sur une très belle phrase : "J'aurais voulu pleurer, mais je sentais mon cœur plus aride que le désert".
Le texte est court et se lit facilement d'une traite. Une fois commencé, impossible de s'arrêter.
L'avez-vous lu ? Aimé ? Des conseils pour découvrir d'autres œuvres de Gide ?
(éd. Gallimard, coll. Folio, 1925)
Commentaires
un roman que j'ai tellement aimé quand je l'ai lu à l'adolescence et que j'ai eu beaucoup de plaisir à faire découvrir à mes filles
j'ai souvent imaginé le décor neigeux, l'orgue, l'éducation de l'enfant aveugle
un beau roman
Un souvenir aussi des "Faux monnayeurs" . Bien dilué, juste comme un livre que j'avais aimé lire.