La confusion des sentiments - Stefan Zweig
"Ce livre ignore tout du plus intime secret de mon éveil à la vie
intellectuelle. (...) Tout y est vrai - il n'y manque que l'essentiel.
Il se contente de me décrire, sans rien dire à mon sujet. Il se contente
de parler de moi, sans me révéler. Sur cet index figurent deux cents
noms consciencieusement catalogués - il n'en manque qu'un seul, celui
qui fut à l'origine de toute inspiration, le nom de l'homme qui a
déterminé mon destin et qui me rappelle à présent avec force ma
jeunesse. Ils sont tous évoqués, sauf celui à qui je dois la parole et
dont le souffle inspire mon langage." (p. 17)
A l’occasion de ses soixante ans, le professeur Roland reçoit un livre d'hommages de ses collègues et étudiants. Mais n'y figure pas la rencontre qui a été déterminante dans sa vie : celle avec un de ses professeurs qui deviendra un mentor, alors qu'il était un jeune étudiant qui avait négligé ses études jusqu'alors.
Ayant trouvé une chambre à louer dans la même maison que celle de son professeur, et l'ayant persuadé de lui dicter le texte de l'essai qu'il projette depuis longtemps d'écrire sur le théâtre élisabéthain, l'enthousiasme juvénile de Roland se mue rapidement en une idolâtrie mêlée d'admiration quasiment filiale. Travaillant sans relâche, il s'épuise rapidement malgré les avertissements de la jeune épouse du professeur. La jeune femme au physique androgyne semble vouloir le protéger de son époux, comme si elle reconnaissait une situation qui s'est déjà produite. "Je n'accepterai pas plus longtemps qu'il vous fasse languir et vous trouble ainsi. Cela doit prendre fin, il doit enfin apprendre à se maîtriser un peu. Vous ne méritez pas d'être la victime de ses jeux aventureux." (p. 111) Le jeune homme est particulièrement déstabilisé par le comportement de son professeur : bienveillant voire tendre, il le repousse l'instant d'après pour ensuite disparaître pendant plusieurs jours. Cherchant à interpréter toutes ses réactions qu'il ne comprend pas, en pleine confusion psychique, angoissé, Roland n'est pas loin de tomber malade.
Ce texte, paru en 1927 et un des plus connus de Zweig, développe principalement un des thèmes typiques de la littérature germanophone du début du 20e s., celui de l'amour homosexuel. Même s'il n'en a pas conscience, l'admiration que porte Roland à son maître est mêlée d'amour. Entre amour et haine, chaleur et rejet, la relation entre les deux hommes qui, par leur importante différence d'âge n'ont pas la même expérience de la vie, provoque un véritable ouragan émotionnel chez Roland, une totale confusion des sentiments.
Avec un style imagé, une tension qui monte crescendo, Stefan Zweig développe avec subtilité un thème qui, lors de sa parution faisait scandale. J'ai beaucoup aimé cette novella bien qu'elle ne détrône pas celle qui est encore ma préférée à ce jour, la brillante Brûlant secret (1911). L'utilisation de la première personne apporte beaucoup de force au texte décrivant cette confusion des sentiments à laquelle on peut être confronté tout au long de sa vie.
"Attiré comme par magie, je m'avançai vers lui en chancelant. Cette lueur, qui d'habitude couvait sous une fumée trouble, brillait à présent ouvertement dans ses yeux : une flamme brûlante s'alluma en eux. Il m'attira à lui, ses lèvres pressèrent avidement les miennes et, dans un geste nerveux et crispé, il serra en frémissant son corps contre le mien.
Ce fut un baiser tel que je n'en ai jamais reçu d'une femme, un baiser sauvage et désespéré comme un cri d'agonie. Les spasmes de son corps passèrent dans le mien. Je frissonnai, saisi d'une sensation ambivalente, étrange et terrible (...), une inquiétante confusion des sentiments qui conféra à cette seconde si dense une durée étourdissante." (p. 148).
(éd. Robert Laffont, Pavillons poche, Verwirrung der Gefühle, traduit par Tatjana Marwinski, 2019)
A l’occasion de ses soixante ans, le professeur Roland reçoit un livre d'hommages de ses collègues et étudiants. Mais n'y figure pas la rencontre qui a été déterminante dans sa vie : celle avec un de ses professeurs qui deviendra un mentor, alors qu'il était un jeune étudiant qui avait négligé ses études jusqu'alors.
Ayant trouvé une chambre à louer dans la même maison que celle de son professeur, et l'ayant persuadé de lui dicter le texte de l'essai qu'il projette depuis longtemps d'écrire sur le théâtre élisabéthain, l'enthousiasme juvénile de Roland se mue rapidement en une idolâtrie mêlée d'admiration quasiment filiale. Travaillant sans relâche, il s'épuise rapidement malgré les avertissements de la jeune épouse du professeur. La jeune femme au physique androgyne semble vouloir le protéger de son époux, comme si elle reconnaissait une situation qui s'est déjà produite. "Je n'accepterai pas plus longtemps qu'il vous fasse languir et vous trouble ainsi. Cela doit prendre fin, il doit enfin apprendre à se maîtriser un peu. Vous ne méritez pas d'être la victime de ses jeux aventureux." (p. 111) Le jeune homme est particulièrement déstabilisé par le comportement de son professeur : bienveillant voire tendre, il le repousse l'instant d'après pour ensuite disparaître pendant plusieurs jours. Cherchant à interpréter toutes ses réactions qu'il ne comprend pas, en pleine confusion psychique, angoissé, Roland n'est pas loin de tomber malade.
Ce texte, paru en 1927 et un des plus connus de Zweig, développe principalement un des thèmes typiques de la littérature germanophone du début du 20e s., celui de l'amour homosexuel. Même s'il n'en a pas conscience, l'admiration que porte Roland à son maître est mêlée d'amour. Entre amour et haine, chaleur et rejet, la relation entre les deux hommes qui, par leur importante différence d'âge n'ont pas la même expérience de la vie, provoque un véritable ouragan émotionnel chez Roland, une totale confusion des sentiments.
Avec un style imagé, une tension qui monte crescendo, Stefan Zweig développe avec subtilité un thème qui, lors de sa parution faisait scandale. J'ai beaucoup aimé cette novella bien qu'elle ne détrône pas celle qui est encore ma préférée à ce jour, la brillante Brûlant secret (1911). L'utilisation de la première personne apporte beaucoup de force au texte décrivant cette confusion des sentiments à laquelle on peut être confronté tout au long de sa vie.
"Attiré comme par magie, je m'avançai vers lui en chancelant. Cette lueur, qui d'habitude couvait sous une fumée trouble, brillait à présent ouvertement dans ses yeux : une flamme brûlante s'alluma en eux. Il m'attira à lui, ses lèvres pressèrent avidement les miennes et, dans un geste nerveux et crispé, il serra en frémissant son corps contre le mien.
Ce fut un baiser tel que je n'en ai jamais reçu d'une femme, un baiser sauvage et désespéré comme un cri d'agonie. Les spasmes de son corps passèrent dans le mien. Je frissonnai, saisi d'une sensation ambivalente, étrange et terrible (...), une inquiétante confusion des sentiments qui conféra à cette seconde si dense une durée étourdissante." (p. 148).
(éd. Robert Laffont, Pavillons poche, Verwirrung der Gefühle, traduit par Tatjana Marwinski, 2019)
Commentaires
Le hic, c'est que je n'ai lu que quelques unes de ces nouvelles... Et à chaque fois que je lis d'excellentes critiques comme celle-ci (^^), je me dis que je devrais en lire plus.
Merci pour cette critique. Je viens de découvrir une histoire que je veux absolument lire. :)