L'un l'autre - Peter Stamm
Bien qu'il fît froid, Astrid retourna dehors, une fois les enfants au lit. Elle prit le journal, un verre de vin et s'assit sur le banc en bois. C'était il y a deux jours exactement, quarante-huit heures, qu'ils étaient assis là tous les deux. Quand elle fermait les yeux, elle pouvait imaginer Thomas à côté d'elle. (p. 61)
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Le roman s'ouvre sur une douce soirée de la fin de l'été. Thomas, Astrid et leur deux jeunes enfants reviennent, heureux, de leur vacances en Espagne. Les enfants couchés, le couple s'assied sur un banc devant la maison, avec le journal et un verre de vin. Konrad, leur fils, se met à pleurer; Astrid soupire, se lève et va le consoler, et, un peu plus tard, monte se coucher. Thomas, lui, se lève, roule le journal sous le banc, vide les verres et sort. Au début, le lecteur pense qu'il va faire une balade sur les chemins de son enfance, se remémorant plusieurs souvenirs de jeux avec ses camarades. Mais non, il ne reviendra pas. Il part, laisse derrière lui sa famille, son travail, ses amis du club de volley-ball. Il laisse ses pas l'emporter vers un ailleurs qu'il ne connaît pas précisément. Pourquoi ? Fuir une vie qu'il n'a finalement pas réellement choisie ?
Le lendemain, Astrid pensera simplement qu'il s'est levé avant elle, même si c'est inhabituel, et est parti au travail. Elle ne s'affole pas, s'occupe d'envoyer les enfants à l'école, téléphone au bureau de son mari pour demander qu'il la rappelle lorsqu'il aura un moment. Pourtant, rapidement, elle comprend qu'il ne reviendra pas, qu'il est parti. Est-elle furieuse ? déprimée ? apeurée ? Et que dire aux voisins, à la famille ?
Le jour pointait déjà quand Thomas se réveilla. La lune était haute, mais elle avait perdu toute sa force dans le ciel qui s'éclaircissait. Le bosquet que Thomas n'avait qu'aperçu la veille au soir était en fait constitué de quelques arbres malades au feuillage clairsemé, aux troncs couverts de lierre. L'air était rempli d'une odeur douceâtre.
Les vêtements de Thomas étaient humides, mais il n'avait pas froid. Il passa ses mains dans l'herbe mouillée, se frotta les tempes et les yeux. Puis il chargea son baluchon sur une épaule et continua vers le sud. Il n'y avait encore personne, il prit les chemins au milieu des champs, en faisant bien attention à ne pas changer de direction. (p. 56)
J'ai adoré ce court roman de Peter Stamm, un vrai coup de cœur ! L'écriture est très sobre, mais belle, poétique, fluide - bravo aussi au traducteur. Le roman alterne les passages consacrés au périple de Thomas : nuits à la belle étoile, éviter les villages où on pourrait le reconnaître, traverser les paysages et les montagnes, une nature certes belle mais qui peut être hostile, trouver à manger, puis, plus tard travailler - je n'ai jamais lu de nature writing mais il y a certainement un peu de cela (?). D'autres chapitres montrent le point de vue d'Astrid et des enfants qui, étonnamment, semblent bien s’accommoder de la situation. Autant pour Astrid que pour Thomas, le roman explore notamment la question de savoir comment trouver un sens à ce départ, à ce soudain vide autour d'eux. Il parle aussi des liens qui unissent un couple.
Vivement recommandé !
source: tagesanzeiger.ch |
Peter Stamm (né en 1963) a fait un apprentissage de comptable puis entamé des études universitaires qu'il a rapidement abandonnées pour se consacrer à l'écriture. Son premier roman, Agnès (1998) est un succès. Il est l'un des écrivains suisses contemporains les plus lus et traduits. De lui, j'avais déjà adoré Agnès et aussi Tous les jours sont des nuits (2014).
(Christian Bourgois éditeur, traduit de l'allemand par Pierre Deshusses, 173 pp., 2017)
Commentaires
C'est si difficile de comprendre comment quelqu'un peut quitter les siens de cette manière radicale et sans égards.