L'asile - Patrick McGrath

source: Bletchley Park, près de Londres - source: interstices.info
Ce roman était sur ma liste de lectures potentielles depuis une bonne quinzaine d'années, depuis que j'avais recopié un bouquin sur le roman britannique de 1945 à nos jours (oui, oui, je suis parfois un vrai petit moine copiste et parmi mes autres "faits d'armes", j'ai aussi recopié un livre sur la littérature irlandaise, et un autre sur la littérature fantastique). Imaginez un peu : une histoire présentée comme d'inspiration gothique, en lien avec la psychiatrie (de quoi faire de belles intrigues !), l'Angleterre, une liaison interdite, une couverture avec un femme à la chevelure rousse incendiaire d'inspiration préraphaélite, voilà de quoi faire travailler mon imagination à plein régime ! Pourtant, si j'ai probablement dû une fois ou l'autre l'emprunter à la bibliothèque ou le chercher en librairie durant toutes ces années, je ne suis jamais allée plus loin. Et puis, il y a cinq ou six ans, était paru Trauma; je l'avais acheté, commencé et abandonné. J'habite une petite ville, la bibliothèque n'est pas bien grande et je m'y rend presque tout le temps avec mon carnet "livres à lire", car il faut souvent les faire venir d'une autre bibliothèque. L'autre jour, ne trouvant rien de tentant dans les rayons, j'ai ouvert mon carnet et suis tombé directement à la page ou figurait L'asile que j'ai réservé manu militari. Deux jours plus tard, le roman m'attendait et je l'ai lu quasiment d'une traite, car il m'a tout de suite énormément plu ! Bref, tout ce blablabla pour vous dire qu'il n'est jamais trop tard pour bien faire ;-)

Elle essayait de lui cacher son excitation grandissante. Elle sentait le velours du pantalon frôler sa jambe nue pendant cette conversation. C’était idiot de prendre des risques dans le potager mais malgré tout, elle l’embrassa.
(p. 45)


L’action se situe dans les années 50 et commence dans un asile de la campagne anglaise proche de Londres. Stella Raphaël y vit avec Max, son mari, brillant psychiatre récemment engagé comme médecin-chef adjoint et promis au poste de futur directeur de l'établissement, et leur fils de dix ans, Charlie. Ils bénéficient d'une belle villa dans le parc et Max s'est mis en tête de faire rénover le jardin d'hiver par quelques uns des patients suffisamment stabilisés. Parmi eux, Edgar Stark, un artiste-peintre et sculpteur qui a été interné après avoir sauvagement tué et mutilé son épouse Ruth dont il avait fini par se persuader qu'elle n'était qu'une prostituée. A la suite du bal annuel de l'institution, auquel participent patients et personnel, Stella et Edgar débutent une liaison passionnée et, bien sûr, secrète. Peu après, Edgar s'évade après avoir volé des habits de Max. Stella finit par le retrouver à Londres, d'abord en s'y rendant prétendument pour faire des achats, puis en s'enfuyant elle aussi, abandonnant mari et enfant pour vivre une vie de bohème précaire avec Edgar et Nick, un de ses amis artiste lui aussi. L'histoire, narrée par Paul Cleave, le psychiatre d'Edgar à l'asile et l'ami des Raphaël, relate ensuite l'aventure amoureuse des deux amants et les suites dramatiques de celle-ci.

Étrangement, mon inquiétude intense concernant les faits et gestes d’Edgar se reflétait en Stella. Son obsession sexuelle et amoureuse, je la vis plus tard comme un reflet primitif et déformé, certes, mais un reflet, tout de même, de ma propre compassion pour un malade privé de soins, et qui se trouvait dans un situation de grande tension et de grande incertitude. (p. 87) 

C'est un roman extrêmement prenant dont j'ai tout de suite adoré le style, l'ambiance, le contexte, les personnages. J'ai beaucoup aimé le fait que l'action soit raconté par un personnage extérieur qui retranscrit les propos que lui a tenu Stella au fur et à mesure de leurs discussions. Ceci, parce qu'il y a une pointe de subjectivité et le fait que Cleave soit visiblement attaché aussi bien à Edgar qu'à Stella ajoute un soupçon d’ambiguïté - la façon dont tournent les choses l'attriste-t-il ou le réjouisse-t-il secrètement ?

« Comment allez-vous, ma chère ?

- Pas très bien, Peter. Vraiment, c’est gentil de venir me voir. Je croyais que vous étiez dans les tribunes, en train de me huer, comme les autres.
- Moi ? Vous montrer du doigt ? J’accorde trop de prix à l’amitié.
- J’aurais dû m’en douter.
- De toute façon, je suis médecin. Je ne peux pas en vouloir à quelqu’un qui tombe malade. Alors comment pourrais-je vous reprocher d’être tombée amoureuse ?
- Les autres le font bien.
- Oui, mais c’est parce qu’ils ont été blessés par ce que vous avez fait. C’est seulement quand on souffre, ou quand on a peur de souffrir, qu’on commence à faire des distinctions entre le bien et le mal.
- Vous croyez ?
- J’en suis sûr. Pas vous ? »
Nous nous sommes assis sur le banc près du jardin d’hiver. Elle s’est penchée la tête en arrière en fermant les yeux.
« Oh, je ne sais plus. Je suis trop fatiguée pour penser. » (p. 161)

Le roman est relativement court, il distille un léger malaise fort plaisant, mais c'est un roman intense comme l'amour obsessionnel qu'il raconte. Du grand art, vraiment !
 
source: storylogue.com
Patrick McGrath (né en 1950) a grandi près de l'hôpital psychiatrique de Broadmoor où son père était directeur médical. Il est remarqué dès ses premières nouvelles et est considéré comme un des représentants du mouvement néo-gothique.

David McKenzie a adapté le roman au cinéma en 2005. Je n'ai pas vraiment envie de le voir mais je ne suis pas étonnée que ce texte ai inspiré un réalisateur, car tout au long de ma lecture, je me disais que ce roman pourrait faire un film formidable. Avec Natasha Richardson dans le rôle de Stella.

(éd. Calmann-Lévy, 270 pp., 1997) 
 

Commentaires

niki a dit…
voilà un billet fort intéressant - j'ignorais que tu aies des antécédents de copiste ;)
Cecile a dit…
Je suis contente de l'avoir dans ma PAL :) Je suis assez fascinée par vos talents de moine copiste : vous les avez recopié à l'ordinateur ou à la main ? cela vous a pris combien de temps ? Je suis moins patiente que vous, j'utilise la photocopieuse :)
lewerentz a dit…
Ceux sur le roman britannique et la littérature irlandaise : à la main ; celui sur la littérature fantastique, à l'ordinateur (celui-là en premier, si je me souviens bien).
FondantGrignote a dit…
recopier des livres ? wahou je suis admirative ! et m'empresse de noter cette chouette référence! (surtout que le mois anglais bat son plein ^_^)
maggie a dit…
Moi aussi ces thèmes m'attirent... Pas vraiment originaux mais comme tu en dis beaucoup de bien, je vais essayer de me le procurer. c'est bien possible que ça me prenne 15 ans aussi vu l'a taille de ma PAL. PS : Tu copies des livres ? Comme j'écris lentement, ca va me prendre 15 ans !!!
claudialucia a dit…
J'ai envie de lire ce livre; voyons si j'aurais autant de chance que toi de le trouver en bibliothèque!
MadeleineMiranda a dit…
Comme ça a l'air intéressant! Et j'ai très envie de visiter Bletchley Park maintenant... La photo est très jolie :) Bises
lewerentz a dit…
Merci de ton passage, Madeleine ! Je le prends comme un honneur. J'espère que tu pourras lire ce roman. Bises.
lewerentz a dit…
Bien sûr que tu le trouveras !
lewerentz a dit…
Tu as raison, Maggie. Pas des thèmes originaux mais très bien traités dans ce roman. PS : il y a longtemps que je n'ai pas recopié de livres sur la littérature; je fais plutôt dans le "bien-être", ces derniers temps... ;-)
lewerentz a dit…
Fondant : merci pour ton passage. Oui, ce roman colle parfaitement au mois anglais !
lewerentz a dit…
Niki: je pense que ce roman te plairait !
Lou a dit…
Je ne connaissais pas du tout mais m'empresse de noter, c'est une thématique qui m'intéresse. C'est amusant, hier j'ai préparé un billet pour la fin du mois sur "Bodies of Water", également dans ce type de cadre. Merci beaucoup pour la découverte !

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