Phalène fantôme - Michèle Forbes


Katherine dit d’une voix lointaine : « Rentrons à la maison, Georges. Je veux vraiment rentrer. »
Georges dévisage sa femme dans la Morris Traveller. « D’accord, ma chérie », dit-il avec tendresse, avant de démarrer. Il lance d’une voix joyeuse : « Tout le monde est prêt ? », ne recueillant qu’un vague grognement de la part des filles. (…)
Katherine frissonne. (…)
Enroulée dans ses serviettes, Katherine a l’impression d’être toujours plongée dans la mer froide et profonde. Des pensées clapotent partout autour d’elle, surgissant des grands fonds, remontant à la surface. Des pensées qu'elle ne peut refouler. Elle ferme les yeux. Des pensées qui ont trait à quelqu’un. Des pensées qu’elle a occultées durant toute sa vie conjugale, mais qui, en réalité, n’ont jamais disparu.
Des pensées qui ont trait à lui. (pp. 32-3)

Belfast, 1969. Katherine est mariée à Georges, ingénieur et pompier volontaire; ils sont parents de quatre enfants. Lors d'une journée à la plage, Katherine est prise de panique durant sa baignade lorsqu'elle rencontre un phoque. Georges parvient à l'aider mais il n'a pas vu l'animal et surtout, cette mésaventure est le début, pour son épouse, d'une introspection qui la ramène vingt ans plus tôt lorsque, jeune employée à la Banque d'Ulster, elle était fiancée à Georges et cantatrice amatrice dans une troupe qui répète pour une série de représentation de Carmen. Et c'est dans le cadre de ce spectacle qu'elle avait rencontré Tom, le tailleur chargé des costumes. C'est le coup de foudre réciproque et immédiat.


Se pressant davantage contre Katherine, Tom se hissa légèrement sur un bras et lui glissa l’autre autour de la taille. Il plaça sa bouche tout près de son oreille et chuchota :  « Tu n’en reviendras pas de la splendeur de ton costume, Katherine. Tu verras. M. Agnew ne saurait pas par quel bout commencer. C’est moi qui vais fabriquer ton costume, Katherine. C’est moi qui vais m’en occuper. Laisse-moi t’expliquer comment je vais m’y prendre… »
(pp. 81-2)

Prise dans un tourbillon de sentiments qu'elle n'a jamais eu aussi fort pour quelqu'un, Katherine décide de dire la vérité à George mais repousse chaque jour sa décision, prise entre l'amour de Tom et celui de George, sa difficulté à exprimer ses sentiments, sa peur de briser les conventions et son envie de vivre une vie qu'elle aura choisi. Lorsqu'elle s'aperçoit qu'elle pourrait bien être enceinte, elle doit décider de son destin.

Une routine s’était établie. C’était pourtant une erreur, elle le savait, car les routines ne servaient qu’ consolider les situations pour les faire ensuite passer pour normales. Oui, elle savait cela. Mais c’était plus fort qu’elle. Tom exerçait sur elle une emprise indéniable. Et puis, pour être honnête avec elle-même, elle devait bien reconnaître que ce monde secret l’excitait
. (p. 111)

Un très beau roman tout en finesse, des personnages crédibles, attachants, un récit qui alterne entre 1949 et 1969, qui intègre la situation politique de Belfast (le début des troubles date de 1969) mais sans que cela prenne trop de poids (cet aspect est particulièrement mis en avant avec Elsa, sa fille de neuf ans, et la relation de celle-ci avec Isabel, sa camarade protestante qui commence à se dire que toutes deux ne peuvent être amies; ainsi qu'à travers le volontariat de Georges comme pompier). J'ai bien aimé aussi sa relation à ses filles, particulièrement son aînée qui, adolescente, éprouve ses premiers émois amoureux et trace comme un parallèle avec la vie de sa mère, des années plus tôt.

Apparemment, l'auteur s'est pas mal inspiré de sa mère et sa propre enfance pour écrire son roman. A ce sujet, voir la très intéressante interview retranscrite sur son site.


source: belfasttelegraph.co.uk
Michèle Forbes est née et a grandi à Belfast. Après des études d'anglais à Trinity College, Dublin, elle travaille pour le célèbre Abbey Theatre de cette ville et y fait ses premiers pas d'actrice. Elle joue dans plusieurs pièces (entre autres de Brian Friel et de Stewart Parker) qui l'amène à se produire dans le monde entier. Phalène fantôme est son premier roman; elle continue aussi à se produire à la télévision, au cinéma et au théâtre.

(éd. La Table ronde, traduit par Anouk Neuhoff, 288 pp., 2016)



Commentaires

Dominique a dit…
Celui là je le note et je vais voir si je le trouve dans ma médiathèque

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