Fille noire, fille blanche - Joyce Carol Oates


... La première fois que je vis Minette Swift, je ne connaissais pas encore son nom. Je ne savais pas encore que nous partagerions la même chambre. La cloche de la chapelle Schuyler sonnait de toute son âme au-dessus de nous.Je regardais Minette sans en avoir pleinement conscience. Un visage noir, impassible, une fille noire de mon âge. Elle sortait de la chapelle du Schuyler College avec ses parents et une sœur plus jeune.Je voulais croire que je leur trouvais un air de famille, mais cela tenait sans doute au fait qu’ils étaient noirs dans une foule majoritairement blanche et intensément sensible à l’effet que cela pouvait, que cela devait, faire de se sentir aussi visible à cause de sa peau dans ce lieu public.Au milieu de tout ce blanc. Un blanc éblouissant comme l’intérieur de l’ancienne chapelle quaker avec ses murs blancs spartiates, son plancher et ses bancs ordinaires, ses hautes fenêtres étroites dont le verre ancien émettait une étrange lumière indécise, comme sous-marine. La cloche était si tonitruante que mon cœur se mit à battre au rythme accéléré de ses balancements ...


C'est Genna qui écrit. C'est son premier contact avec Minette.


Nous sommes dans les années 70. Genna, la fille blanche, et Minette, la fille noire, ont moins de vingt ans et fréquentent une université féminine prestigieuse de la côte Est. L’arrière grand-père de Genna a fondé cette université alors que Minette y a été admise en tant que boursière méritante. Minette n’a rien pour elle. Elle n’est pas jolie avec son physique taillé à la hache, pas sympathique et n’en a rien à faire des tentatives de Genna pour gagner son amitié. Fille de pasteur, elle est profondément croyante et dévote. Genna est issue d’une famille bourgeoise. La mère, post-hippie bien assez déglinguée et le père, avocat brillant et militant de gauche, voire d’ultra-gauche, défenseur des Blacks Panthers et d’Angela Davis, sont séparés et ne vouent à leurs enfants qu’une attention sporadique et distante. La famille de Minette est très présente et chaleureuse.


Avant même le début du roman, dans un court préambule, on apprend que Minette mourra au cours de cette année scolaire, année scolaire que Genna, encore pleine de regrets et d’interrogations, nous raconte une trentaine d’années plus tard. A peine l’année scolaire entamée, Minette est victime d’actes racistes : lettres anonymes, jets de pierre, déprédation de son matériel scolaire. Genna prend fait et cause pour elle et se montre d’une loyauté à toute épreuve. Malgré tous ses efforts, elle ne parvient pas à forcer la carapace de Minette qui va lentement dériver vers sa mort.


Drôles de rapports que ceux entretenus par Genna et Minette. A cet égard, l’extrait ci-dessous est révélateur :


… Je la hélais d’un ton désinvolte, d’une voie aigüe et trop gaie, qui s’élevait légère et sans reproche, comme un cerf-volant. Parfois, Minette entendait, se retournait avec un sourire renfrogné, surprise et polie : car Minette avait appris à être polie, c’était sa réaction immédiate à toute intrusion. Voyant qui j’étais ou, avec un battement de paupières derrière les verres épais de ses lunettes, ne voyant pas, elle murmurait un vague « ‘jour » inaudible et poursuivait son chemin …


Comme à son habitude, c’est au scalpel que Joyce Carol Oates sculpte un portrait psychologique saisissant de la complexe Minette, de Genna, de l’époque post Vietnam, caractérisée par la fin des utopies, de lancinantes tensions raciales et la déroute politique de Nixon. Je suis une inconditionnelle de Joyce Carol Oates et encore une fois je n’ai pas été déçue. Tout au long de la lecture de ce roman, j’étais dans une sorte d’état d’urgence intérieur, en alerte, mise sans complaisance face au regard que nous portons sur la différence.


Décidément, la littérature de Joyce Carol Oates captive et interpelle. Elle mériterait bien le prix Nobel de littérature, pour lequel elle a été présélectionnée à deux reprises.


Joyce Carol Oates est née le 16 juin 1938 à New York et a été élevée dans un milieu rural. Elle était très proche de sa grand-mère paternelle. Elle a commencé à écrire dès l'âge de quatorze ans. Elle enseigne la littérature à l'université de Princeton où elle vivait avec Raymond Smith, son époux, décédé en février 2008. Il dirigeait une revue littéraire, la Ontario Review. Depuis 1964, elle publie des romans, des essais, des nouvelles et de la poésie. Au total plus de soixante-dix titres. Elle a aussi écrit plusieurs romans policiers sous les pseudonymes de Rosamond Smith et de Lauren Kelly. Elle s'intéresse également à la boxe. Son roman Blonde inspiré de la vie de Marilyn Monroe est publié pratiquement dans le monde entier et lui a valu les éloges unanimes de la critique internationale. Elle a figuré deux fois parmi les finalistes du Prix Nobel de littérature.


Sources Evene, Babelio, Wiipedia

Commentaires

lewerentz a dit…
Comment faites-vous pour écrire des billets si bien ? A chaque fois, ensuite, je trouve les miens bien minables. Ce roman semble vraiment très bien; je le note !
Dominique a dit…
j'ai noté ce roman là dans ma liste, d'une part parce que le sujet m'attire mais aussi parce que j'ai eu du plaisir à découvrir cette auteure avec laquelle j'avais eu une première approche ratée
niki a dit…
très beau billet - c'est vrai que cette romancière remporte tous les suffrages dans la blogosphère

que lewerentz se rassure sur son talent pour relater un livre, elle m'a déjà fortement allongé ma LAL ;)
maggie a dit…
Je découvre petit à petit cette romancière : depuis délicieuses pourritures, je n'aime pas tout chez cette romancière mais moi aussi, je suis interpelée par ses thèmes !
J'espère que j'aurai le temps de le lire.
PS : pour ce roman, elle était en liste pour le nobel et pour quel autre roman ?
Sabbio a dit…
Il est sur ma LAL depuis un moment et l'avais repéré lors de sa parution, dans une émission quelconque.
Golovine a dit…
Sacrée lewerentz, tes billets ne sont pas minables du tout. Si tu veux, je te passe le bouquin. Ton avis sur lui m'intéresserait énormément. Je pense parfois que je ne suis pas objective avec JCO. Je suis vraiment en phase avec elle, ses analyses, ses idées. Amitiés.
Golovine a dit…
Dominique, je suis contente que vous ne soyez pas restée sur un première mauvaise approche. Vous aimerez ce livre-ci, à n'en pas douter. Amitiés.
Golovine a dit…
Niki, merci de votre incursion sur notre site. Pas étonnant que JCO ait la cote dans la blogosphère, elle est si contemporaine. Amitiés.
Golovine a dit…
Bonjour Maggie; c'est pour l'ensemble de son oeuvre qu'elle avait été proposée pour le prix Nobel. Espérons que la troisième fois sera la bonne ! Amitiés.
Golovine a dit…
Sabbio, je n'ai jamais eu la chance de voir ou d'entendre JCO dans une émission littéraire. Si on l'aime, on a de la chance. Elle est très prolixe. Amitié et merci de votre coucou sur notre blog.
maggie a dit…
bonjour, J'ai acheté le livre ! Il ne me reste plus qu'à le lire, en espérant qu'il ne viendra pas grossir ma PAL trop longtemps !
Karine:) a dit…
Tout le monde aime... je n'ai lu qu'un roman de Oates, que j'ai beaucoup aimé. J'aime son côté sans concession...
Leiloona a dit…
J'ai découvert cet auteur avec ce livre justement ! Je n'ai pas encore lu un autre de ses livres, mais je le ferai sans doute car j'avais été transportée par cette histoire et cette écriture.
Golovine a dit…
Leiloonna, je suis contente de partager avec vous mon amour inconditionnel de JCO. Je vous recommande NOUS ETIONS LES MULVANEY que j'ai chroniqué il y a quelque temps. Ce bouquin m'avait transportée. Amitiés et bon week end.
Golovine a dit…
Oui, elle est sans concession et c'est justement ce qui me plaît chez elle. Amitiés et bon week end et merci de votre visite sur notre site.
Golovine a dit…
Maggie, ouvrez-le, commencez-le et vous serez happée par ce roman. On parie ? Amitiés, Maggie.

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