Une illusion passagère - Dermot Bolger


J’adore cela ! Lire un livre en deux jours, pouvoir le prendre de la pile « emprunté à la bibliothèque, à lire », puis le transférer sur la pile « lu, à rendre ». D’habitude, je n’y arrive qu’avec les BD et les documentaires que (pour la plupart) je feuille plus que je ne lis. Et bon, pour le coup, je n’ai pas grand mérite, car la novella (appelons-la ainsi) de Bolger ne fait que 130 pages. Cette petite digression (au demeurant peu intéressante, je l’avoue) étant faite, passons à l’essentiel : le très beau texte de Bolger. 

Martin, un fonctionnaire de l’Etat irlandais, est en voyage d’affaire en Chine. Après une journée pleine de séances, il peut enfin souffler et profiter de sa soirée dans son hôtel cinq étoiles. Pourtant, seul, il perçoit particulièrement sa condition d’étranger, la barrière de la langue et, après un passage à la piscine de l’hôtel, il se laisse tenter par un massage. Quelque chose qu’il n’aurait jamais eu l’idée de faire, tout juste s’il se souvient des quelques massages sportifs reçus alors qu’il pratiquait le squash. La jeune femme qui débarque dans sa chambre n’est pas une des longues créatures filiformes tout sourire qu’il a aperçus dans l’hôtel, mais une femme qu’il juge plutôt quelconque, d’environ trente-cinq ans, petite, banale. Ce qui rassure Martin qui ne pouvait écarter un soupçon de mauvaise conscience de profiter ainsi d’un instant de relaxation. De malaise vis-à-vis de sa femme Rachel et de ses trois filles adolescentes. Pourtant, il ne partage plus le lit de Rachel depuis plusieurs années, relégué au grenier de la maison familiale dans une banlieue plutôt cossue de Dublin. Son épouse, qu’il sait avoir un jour irrémédiablement blessée mais sans en connaître la raison, lui a d’ailleurs déclaré qu’elle ne verrait aucun inconvénient à ce qu’il ait une liaison. Rachel qu’il ne comprend plus qu’à demi-mots. Mais il n’est pas « ce genre d’homme-là ». Et pourtant, lors de sa soirée en solitaire loin des siens, il succombe à l’illusion passagère de l’être. Entre lui et sa masseuse qui ne parle que quelques mots d’anglais, s’installe une sorte de compréhension muette. Et la jeune femme ne va-t-elle pas tout gâcher lorsqu'elle lui propose de monnayer ses charmes ?

source : idenpendant.ie
J’ai beaucoup aimé ce texte fin, subtil, plein de mélancolie. Une sorte de longue introspection intérieure que Martin met en rapport avec la situation politique et économique de l’Irlande. A ce titre, il est d’ailleurs intéressant de relever que le titre original est The fall of Ireland et qu’il est paru en 2012, alors que l’Irlande connaissait un profond marasme financier après la période bénie du « tigre celtique » (1990-2000). Heureusement, aux dernières nouvelles, il semble que la situation s’améliore gentiment, ce qui réchauffe mon cœur.  

« Certains dimanches, il perdait courage au moment de tourner la pognée de la porte, sachant que s’il la réveillait elle serait tout de suite furieuse et qu’il se sentirait blessé et immédiatement sur la défensive. Dans un silence lapidaire, allongés là, ensemble et séparés, ils s’en voudraient l’un l’autre, et à eux-mêmes. D’autres fois, il éprouvait un tel ressentiment de se voir réduit au rôle de mendiant qu’il s’en allait avant d’avoir tendu la main vers cette poignée. Mais de temps à autre, par miracle, il arrivait juste au bon moment, alors qu’elle venait de s’éveiller, et Rachel se retournait endormie et le serrait contre elle dans une étreinte presque désespérée, comme une âme solitaire qui aurait perdu son chemin et était trop effrayée pour demande sa route. » (p. 79) 

Bref, en un mot comme en cent : vivement recommandé – et une bonne manière de découvrir cet auteur si vous ne l’avez pas encore lu. 

(éd. Joëlle Losfeld, traduit par M.-H. Dumas, 2013)

Commentaires

Kathel a dit…
J'ai un Bolger dans ma PAL, mais ce ne doit pas être celui-ci, il est plus épais ! ;-) Je découvrirai ainsi un auteur irlandais que je ne connais pas !
niki a dit…
je connais vaguement l'auteur de nom, mais apparemment c'est à découvrir - je vais donc l'ajouter à ma LAL
lewerentz a dit…
Kathel & Niki : bonne idée que de lire Bolger; bonne lecture !
Manu a dit…
Un écrivain qui m'était totalement inconnu !
lewerentz a dit…
Manu: alors pareil que pour Kathel et Niki : je te le recommande vivement !
cathulu a dit…
Noté et surligné : tout me parle !:)
lewerentz a dit…
Cathulu : j'en suis ravie !
Anonyme a dit…
J'adore Dermot Bolger. Je ne sais pas si je fais erreur (je n'ai plus aucune mémoire ...), mais il me semble avoir lu deux livres de lui que j'avais beaucoup aimés. Et j'aime tellement la littérature irlandaise ! Peut-être que les titres lus me reviendront, je t'en parlerai alors. Bon dimanche chère lewerentz !
Anonyme a dit…
Anonyme c'est moi Golovine !
lewerentz a dit…
Chère Golovine, merci de votre passage sur le blog, ça me fait tellement plaisir ! :-)

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